Il ne se passe pas un jour sans que l’on croise une intox sur les réseaux sociaux. Le phénomène touche la planète entière et la Tunisie ne fait pas exception. Leur prolifération est intimement liée à celle des faux-sachants prétendant détenir la vérité et la science infuse.
Ainsi, quotidiennement, on apprend que Kaïs Saïed est malade, qu’il est en Allemagne pour se soigner, qu’il va opérer un large remaniement ministériel, ou que le nombre de détenus pour chèques sans provisions atteint des centaines de milliers. Parmi les intox de la semaine dernière, on a « appris » que l’ancien chef du gouvernement Ahmed Hachani est interdit de voyage, tout comme la ministre des Finances récemment limogée Sihem Nemsia et le propagandiste du régime Néjib Dziri.
Un opposant farouche au régime, autoproclamé porte-parole de l’opposition tunisienne à l’étranger, a déclaré que le député européen Alain Polomack a rencontré le président américain Donald Trump et que ce dernier lui a dit qu’il travaillait à la chute du président Kaïs Saïed. Vérification faite, le monsieur n’est pas un député, il n’a rencontré aucune personnalité, c’est juste un escroc déjà condamné par la justice française et la justice tunisienne.
Un jeu dangereux entre régime et opposants
À l’origine de ces intox, des comptes Facebook, X et TikTok dirigés par des mégalomanes idiots ou des machiavéliques malintentionnés qui tentent la déstabilisation du régime.
Loin d’être un saint respectueux des valeurs et de la déontologie, le régime lui-même distille les intox à son tour. Le tunnel de la Marsa, l’enveloppe empoisonnée, les milliards de milliards dérobés par des corrompus ou le complot contre l’État, sont autant d’intox diffusées par le régime actuel et relayées par des comptes inféodés sur les réseaux sociaux et des médias soumis.
Parmi les intox de la semaine dernière distillées par les proches du régime, on apprend qu’il va y avoir des vagues d’arrestations cette semaine dans le milieu associatif. Les mêmes comptes épinglent régulièrement des opposants ou des médias résistants dans une guerre des nerfs non déclarée, prédisant une arrestation ou leur prêtant une hypothétique fortune mal acquise.
La confusion totale du citoyen lambda
Qu’il soit face à des idiots ou des cyniques, le fait est que le citoyen lambda ne sait plus qui et quoi croire. Que ces intox soient véhiculées par des proches du régime ou par ses opposants, elles mettent de la confusion et de la tension à tout le monde.
Quoi qu’il en soit, ces comptes des réseaux sociaux ne sauraient être, en aucun cas, une source d’information crédible, quand bien même ils donneraient des informations justes. Croire en leur contenu, c’est comme croire aux propos de « Khalti Jannet » la voyante de « Choufli Hall » ou à une horloge cassée qui donne l’heure juste deux fois par jour.
Kaïs Saïed sous pression
Indéniablement, parce qu’il est au sommet, Kaïs Saïed se trouve être le plus ciblé par ces intox. Indéniablement aussi, il lui arrive d’y croire. Autrement, il n’y aurait pas eu autant de prisonniers politiques, il ne se serait pas déplacé pour voir le soi-disant tunnel de la Marsa (en vérité un fossé dans un jardin) et n’aurait pas pesé de tout son poids pour faire passer la nouvelle loi des chèques.
Qu’il soit ou pas sous leur influence, Kaïs Saïed est sous leur pression et cherche à les éliminer de la vie publique. Un vœu pieux soit dit en passant.
Conscient de la problématique, il a « imaginé » le décret 54 qu’il a pondu en septembre 2022. Au départ créé pour lutter contre la cybercriminalité, selon les directives de la convention de Budapest de 2001, le décret 54 a été dénaturé en Tunisie à cause de son article 24 pour viser désormais l’opposition et les journalistes. Au lieu de lutter contre les intox, il s’est mis à lutter contre les critiques.
Une réponse inadaptée avec le décret 54
Mais comme beaucoup d’idées lumineuses de Kaïs Saïed, les sociétés communautaires par exemple, la commission de réconciliation ou la restauration du stade d’El Menzah, le décret 54 et son article 24 n’ont pas atteint leurs objectifs. Plus de deux ans après l’adoption du décret 54, les intox continuent à proliférer sur les réseaux sociaux avec encore plus de virulence. Le régime s’est alors tourné vers la justice qui, aux ordres, a prononcé des dizaines de peines de prison et émis des dizaines de mandats d’amener internationaux contre des politiciens, des journalistes et des influenceurs. Rien à faire, les intox sont encore là tout comme les gogos qui y croient.
Le rôle des médias dans la lutte contre les fakes news
Sous pression, encore sous pression, toujours sous pression, le président de la République s’est enfin tourné vers le premier carré de la solution, celui-là même vers lequel se tournent les dirigeants et les citoyens des pays démocratiques respectables, à savoir les médias. En effet, d’après l’Histoire (si chère à notre président) et d’après l’expérience du monde libre, seuls les médias crédibles sont la solution pour lutter contre les fakes news.
Avec cinq ans de retard, Kaïs Saïed a pris conscience qu’il doit se tourner vers les médias pour contrer les rumeurs et les fausses informations. Ainsi, mardi 11 février, il a reçu les patrons des médias publics à qui il a parlé de fausses informations et d’intox véhiculées de Tunisie et de l’étranger par des pages rémunérées dont l’unique objectif est de déstabiliser et diviser l’État.
Erreur de cible
En recevant les patrons de médias publics, Kaïs Saïed croit pouvoir lutter contre les fakes news. Sauf qu’une fois de plus, il s’est entremêlé les pinceaux et s’est trompé d’adresse. Lui-même est tombé dans le piège de ses adversaires, celui de proférer des contrevérités. D’après le communiqué de la présidence, publié à 00h53, Kaïs Saïed a déclaré que ces intox ne sont plus crues par personne. Dans ce cas, pourquoi en parler et leur consacrer un passage dans un communiqué du sommet de l’État publié à une heure impossible ?
En recevant ces médias publics, Kaïs Saïed pense qu’ils ont de l’influence. Or, les chiffres montrent que ce sont les médias privés qui occupent le devant de la scène et la tête des audiences. La première radio de Tunisie est Mosaïque (privée), la première télévision est Nessma (privée), le premier journal imprimé est Echourouq (privé) et le premier journal électronique est Tunisie Numérique (privé). L’ensemble des sites web des médias publics n’atteignent pas l’audience d’un seul journal électronique comme Tunisie Numérique, Kapitalis, ou Business News ou d’une radio privée comme Mosaïque. Les chiffres (certifiés SVP par Similar Web) sont là pour prouver ce que n’importe quel quidam sait déjà.
Une lutte contre les intox mal orientée
Si Kaïs Saïed veut contrer les intox, ce n’est certainement pas avec ses médias publics propagandistes qu’il réussira l’exercice. Il lui faut des médias mainstream tout d’abord (ce qui n’est pas le cas des médias publics) et des médias qui ont de la crédibilité (ce qui est encore moins le cas des médias qu’il a reçus). Il lui faut d’abord et avant tout être crédible lui-même.
Dans le monde libre, le seul et l’unique moyen de contrer les fausses informations est de tabler sur l’information juste et vraie. Avec les fausses accusations contre les politiciens, les détentions arbitraires et abusives, les faux chiffres des biens détournés, les résultats soviétiques des élections, les rêves illusoires des sociétés communautaires, les chiffres embellis du gouvernement démentis par l’INS, le régime tunisien a perdu tout crédit devant le citoyen avisé.
Les citoyens lambdas qui croient à tous les bobards, tout ce qui s’écrit sur les réseaux sociaux et tout ce qui se dit dans les médias publics, ne seront pas d’éternels gogos. À un moment ou à un autre, ils vont demander des comptes et des résultats concrets. Or, et ceci est un fait, il n’y a pas de résultat, le régime ne sait que parloter. La croissance est en berne et inférieure aux prévisions initiales du gouvernement. Pourtant, force est de rappeler qu’on a eu des records en matière de tourisme, d’agriculture et de montants transférés par les TRE. Idem pour le déficit commercial. Le déficit a été de 19,8% en 2024 alors que le gouvernement prédisait 2,7%.
La vérité, seule arme efficace
Pour lutter contre les fausses informations sur les réseaux sociaux, il faut d’abord et avant tout que Kaïs Saïed et son gouvernement commencent par dire la vérité. Il faut ensuite des médias crédibles réputés pour leur sérieux et leur professionnalisme. Or les médias ont été malmenés par le régime. Certains ont eu droit à la prison, d’autres ont eu droit à des redressements fiscaux et d’autres ont été privés de publicités d’entreprises publiques. Certains, comme Mosaïque première radio du pays, a eu droit aux trois.
Quand on ne dit pas soi-même la vérité, quand on harcèle ceux qui la disent et quand on distille soi-même l’intox, on ne peut qu’obtenir de l’intox partout. Forcément, on est frappé par là où l’on a pêché. « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps ». La citation apocryphe d’Abraham Lincoln daterait de 1856, mais elle colle parfaitement au régime tunisien en 2025.